Demain, ExperTeam fêtera ses 10 ans à la Philharmonie de Paris !
C’est l’occasion de revenir sur la révolution précoce qu’a connu le monde de la musique avec le développement des technologies digitales !
L’histoire du plug-in
Nous n’avons certainement jamais créé autant de musique qu’aujourd’hui. Pour autant, si le streaming et les nouveaux modes de diffusion sont souvent mis en avant, l’un des points d’inflexion de cette révolution musicale est souvent méconnu et très similaire à ce que nous avons connu dans l’informatique et qui est aujourd’hui l’un des possibles du Cloud : la virtualisation. Les éditeurs professionnels DigiDesign et Waves ont introduit, dès 1993, la notion d’effet logiciel et virtuel exécuté en temps réel. Mais, pour les musiciens amateurs du monde entier, l’apparition de la technologie VST (Virtual Studio Technology) inventée par la société allemande Steinberg est considérée comme un jalon majeur, car elle permettait alors de faire tourner ces effets et instruments logiciels, nommés des plug-ins, sur de simples PCs à la fin des années 90.
Plus précisément, la technologie VST est un framework qui permet de créer et d’exécuter des effets et des instruments virtuels qui vont tourner « in-the-box » en temps réel grâce à un ordinateur et une interface audio.
Le coup de génie de Steinberg est d’avoir mis son API et SDK à disposition de tous les développeurs et autres experts DSP (Digital Signal Processing) qui n’ont pas attendu plus longtemps pour faire du VST un standard, par la création de centaines d’effets et d’instruments virtuels souvent mis à disposition gratuitement sur Internet. De nombreuses entreprises commerciales spécialisées se sont créées, dont l’Allemand Native Instruments ou Waves (leurs plugins sont presque devenus un standard depuis plus de 20 ans) ou Arturia, société française basée à Grenoble et devenue une véritable référence internationale. Elle s’est même aujourd’hui lancée dans la fabrication de synthétiseurs physiques, venant concurrencer de belle manière les fabricants historiques ! N’oublions pas non plus la société française Flux : qui réalise des plug-ins de très haut vol, dont certains associés au vénérable IRCAM.
Figure 1 Le sublime synthétiseur MatrixBrute d’Arturia
La production musicale à la portée de tous
Avant les plug-ins et la démocratisation du matériel, créer, enregistrer, mixer, produire de la musique pouvait être complexe et coûteux. D’une part, l’ingénierie du son studio était un domaine pointu, peu accessible et qui nécessitait un parcours initiatique (de façon caricaturale : stagiaire, tea-boy, assistant, assistant supérieur, assistant presque ingénieur, ingénieur du son enregistrement, ingénieur du son mixeur, producteur, producteur superstar !). D’autre part, pour tenter d’obtenir un résultat acceptable et diffusable, un matériel conséquent était nécessaire et nous parlons bien ici d’un monde de la musique qui avait toujours vécu dans l’opulence. Un synthétiseur ou un appareil d’enregistrement pouvait coûter jusqu’à plusieurs milliers d’euros. Le coût d’enregistrement dans un studio professionnel digne de ce nom était peu accessible au musicien amateur.
De nos jours, il est possible pour un musicien amateur de réaliser un album entier seulement avec un ordinateur, une interface audio de bonne qualité (quelques centaines d’euros) et des plug-ins, pour un résultat surpassant souvent ce que nous étions capable de faire dans certains studios « intermédiaires » du début des années 2000.
La qualité de ces plug-ins est bluffante et semble aujourd’hui offrir des possibilités infinies. Du piano de concert modélisé au réalisme saisissant disponible pour moins de 100€, aux appareils de traitement du son qui reproduisent des instruments mythiques pour quelques dizaines d’euros, versus des milliers d’euros pour la version physique. L’offre est immense et les premiers bénéficiaires sont les musiciens et créateurs qui peuvent s’adonner à une créativité sans limite !
Ainsi, les usages et pratiques ont considérablement évolué. De nombreux créateurs et musiciens sont des start-up en puissance, devenues multi-compétentes par nécessité. Le musicien moderne maitrise à la fois les rouages de la création mais également ceux du marketing et de la diffusion (via notamment les réseaux sociaux et les distributeurs en ligne).
Industrie traditionnelle et transformation
Face à cette vague, couplé à la diffusion d’une certaine idée de la gratuité de la musique sur Internet, le dilemme de l’innovateur a touché aussi les ténors du passé qui n’ont pas toujours su se transformer, dont voici quelques exemples:
- Les fabricants d’instruments électroniques et d’appareils physiques dédiés au monde de l’audio et de la musique ont connu une période difficile. Le défi majeur fut de se réinventer au risque de disparaitre. Et la réinvention est passé par une baisse drastique des prix mais aussi paradoxalement par l’apparition d’un véritable haut de gamme, la multiplication des offres produit, une proposition de valeur différente basée sur des produits réellement innovants, pour le « live », ou complémentaires aux environnements virtuels. Les légendaires fabricants Korg ou Roland ont ainsi virtualisé leurs instruments mythiques, pour les mettre à disposition en abonnement dans leur offre cloud en mode SaaS. Surprenant !
- Les fabricants de guitares, l’instrument populaire par excellence, sont aussi dans une posture délicate. Les ventes baissent régulièrement. Nous avons appris récemment que la légendaire marque Gibson est en liquidation judiciaire. Pour les guitaristes du monde entier, il faut le relire pour le croire. Mais, pour toute une génération, les idoles ne sont plus nécessairement les guitar-heroes ou les songwriters folk, mais des artistes qui font la part belle à d’autres types d’instruments, souvent électroniques et éclectiques. Pour Gibson, en plus de quelques choix stratégiques discutables, la concurrence est passée par là. Et ce n’est pas toujours celle à laquelle on pense : la préférence à des instruments d’occasion (le son d’une guitare est comme le bon vin et se bonifie avec le temps !) accessibles à l’échelle mondiale grâce à quelques clics sur les sites eBay ou Reverb.com, sans même avoir essayé, est souvent privilégié à des instruments neufs !
- Les magasins d’instruments de musique généralistes disparaissent progressivement. Comme Gibson, Guitar Center, la mythique chaîne US de magasins de musique, est en faillite… En France, la chaîne de magasin Milonga l’a précédé. Seuls restent les magasins très spécialisés, qui s’adressent à une clientèle de professionnels exigeants. Pour les autres, le Digital prévaut avec des grands sites comme Thomann, sorte d’Amazon de l’audio et de la musique, qui offre un service de grande qualité, versus un accueil qui n’a pas toujours su se renouveler dans les magasins traditionnels.
- Les maisons de disques et labels n’ont pas vu venir cette vague de transformation importante, ni les nouveaux canaux de distribution, les nouveaux modes de consommation. Beaucoup ont fermé. Pour de nombreux artistes indépendants, signer un deal avec une maison de disque n’est plus très attractif, d’autant que la vente de disque s’est effondrée et que ces maisons de disques ou labels compensent en incitant fortement les artistes à enchainer les dates de concert jusqu’à épuisement pour certains. Même si de nombreux labels ont à cœur la musique et rien que la musique, les artistes ne bénéficient plus forcément du temps nécessaire pour se développer. Est-ce qu’un immense groupe comme Radiohead, qui fut un des rares groupes à obtenir une totale indépendance de création dans une « major », aurait le temps de se développer et de progresser dans le monde d’aujourd’hui ?
- La multiplication des tutoriels, conseils, chaînes en streaming (Youtube en tête de liste) mais aussi MOOCs ou Masterclass donne accès à une source infinie d’apprentissage. Le site MasterClass permet même d’avoir comme professeur de musique le grand Hans Zimmer, compositeur des plus belles bandes originales de films d’Hollywood. Apprendre un instrument ou la production musicale n’a jamais été aussi accessible.
- Enfin, en bout de chaîne, la plupart des grands et moins grands studios d’enregistrement ont fermé. Les musiciens préfèrent aujourd’hui les studios éphémères, les « project-studios », aux tarifs plus adaptés, quand ils n’enregistrent pas directement à domicile, disposant de tout le temps et confort pour travailler. Nous pourrions aussi dire que l’exigence des auditeurs a changé en matière de qualité sonore, avec des conditions d’écoute de plus en plus mobiles.
Musique et « post-digital »
Il est toutefois intéressant de constater que, après une phase d’euphorie numérique, le monde de la production musicale revient à des fondamentaux et à un esprit d’innovation et de créativité basé sur un petit artisanat qui a, semble-t-il, fait le tour des possibilités numériques et souhaite renouer avec des choses plus concrètes, physiques, visuelles, acoustiques ! En effet, de nombreux musiciens et producteurs retrouvent des vertus au monde « analogique », particulièrement avec les appareils à lampe ou la réédition de vieux synthétiseurs qui ont fait les beaux jours de la musique des années 70. Egalement, une myriade de petites entreprises créé chaque jour des modules pour les synthétiseurs dits « modulaires », soit les ancêtres des synthétiseurs, qui sont très en vogue pour expérimenter et produire des sons innovants. Encore plus surprenant, certains studios sont totalement analogiques, remettant au goût du jour les instruments et vieux appareils des années 60 et 70, comme le studio Kerwax en Bretagne.
Pour autant, qui aurait pu prédire que ce monde de la musique, de sa création à sa diffusion, changerait autant du fait de la technologie ? Qui aurait pu prétendre qu’un jour, un grand orchestre serait remplacé par son équivalent numérique dans des productions commerciales (films, séries, jeux vidéo…) ? Qui aurait pu croire que l’Intelligence Artificielle permettrait de générer de la musique ??
Alors que le monde de la production musicale, dont il n’est même plus nécessaire de le qualifier de « digital », semble amorcer une nouvelle phase, de nombreux autres secteurs sont encore aujourd’hui dans cette profonde transformation numérique, portée par des innovations majeures, qui incitent à se remettre en question. Les technologies Digitales semblent, comme dans la production musicale, offrir à ceux qui les maitrisent des possibilités infinies ! A chacun de se les approprier et, en ce sens, les collaborateurs d’ExperTeam écrivent chaque jour une nouvelle partition.